Il est des personnages qui ne se définissent pas. C’est dans l’ombre que se révèlent leurs qualités humaines, leurs passions.

Pour cette édition du « P’tit Journal de la Locale », nous nous sommes posés « Aux Marronniers », autour d’un café, en compagnie de Guy Delhasse, écrivain, artiste à découvert, un vrai passionné qui habite notre commune depuis 1990.

Commençons par les souvenirs : le « Festival d’un soir d’été », les « Transes Musicales », organisées avec notre ami Jacques Verstraeten, ce sont de bons souvenirs ?

De bons souvenirs, oui ! Et beaucoup de fierté aussi ! D’abord celle de se dire, le temps d’un week-end : « il se passe quelque chose à Villers ». Et surtout de pouvoir affirmer que, pendant 12 ans, on a fait de Villers un centre musical. C’était notre but : explorer la musique et faire exister Villers sur la carte musicale, en invitant des artistes peu connus, d’autres un peu plus (comme Perry Rose) et surtout de faire jouer des groupes locaux. On était encouragé : il y avait une belle collaboration avec la Commune et le service travaux mais aussi avec la régie du Centre culturel de Huy. Des bénévoles venaient nous aider, nous avons aussi obtenu des subsides de la Province et le soutien de Classic 21. Comme quoi, même dans une petite commune, quand on veut, on peut !

C’était mieux avant ?

Non ! Je ne dis jamais ça ! A l’époque aussi, on ramait un peu pour avoir du monde et on n’est jamais parvenu à rassembler tout le village. Aujourd’hui, il faudrait reconstituer une équipe et, surtout, il y a beaucoup de festivals qui s’organisent un peu partout maintenant. Nous étions un peu les seuls à l’époque.

Il y a également eu, à Villers, un « Festival du livre et de la BD d’occasion ».

En effet. Jacques s’occupait de la partie « bouquiniste » et moi de la partie débat. Nous invitions des auteurs qui venaient parler de leurs livres : nous avons eu la chance de recevoir Barbara Abel (assez connue aujourd’hui mais à ses tout débuts à l’époque), Jean-Baptiste Baronian, Nathalie Boutiau, Jacques Izoard… Lors de la dernière édition, nous avons même rassemblé seize auteurs régionaux. Et la bibliothèque achetait tous les livres des auteurs qui étaient invités.

A ce propos, que penses-tu de la disparition de la bibliothèque de Villers ?

C’est triste mais l’agréation devenait trop chère par rapport au lectorat, en diminution. Avec le développement des bibliothèques environnantes et des moyens de locomotion, les lecteurs sont allés chercher alentours ce qu’ils ne trouvaient pas à Villers. C’est un peu le problème de la culture à Villers en général : notre commune est entourée de grands centres culturels agréés qui fonctionnent bien, Huy, Amay, Wanze, Saint-Georges, Waremme… et qui ont leur public. Il faut une culture de proximité, rassembler les forces internes autour d’un projet, et il faut que Villers trouve sa propre identité au milieu des autres. Ce n’est pas si simple…

Puisqu’on parle de culture, quel est ton sentiment par rapport à la situation en Flandre et aux coupes budgétaires ? C’est la culture qu’on assassine ?

La Flandre cultive ses propres artistes pour rester toute seule. C’est inquiétant, mais c’est logique : le ministre flamand voit les choses en terme de législature immédiate, il satisfait son électorat. C’est une poussée d’extrême droite qui éteint tout ce qui ne met pas en évidence le patrimoine flamand, qui étouffe les créateurs qui remettent en cause l’idéologie en place. Plus le pouvoir est fort, plus la mémoire disparaît ou est dirigée vers une autre voie.

Attardons-nous à présent sur l’écrivain : tu as écrit de nombreux ouvrages et pourtant tu donnes parfois l’impression de fuir la notoriété. Pourquoi ?

Je n’ai jamais reçu de prix parce qu’il faut une tactique, un éditeur qui envoie les livres au jury. Je tombe à côté à chaque fois. Il faut imaginer des carrières, faire des plans et je n’ai jamais tenu ça.

Pourtant, l’écriture, c’est une passion qui nait tôt chez toi…

En effet. J’ai commencé à écrire à l’âge de 13 ans, quand j’ai été chargé de tenir le journal de bord de ma patrouille scout. Mais l’envie de devenir écrivain est surtout née en réaction à l’écriture scolaire : à l’école, on demandait aux élèves d’écrire des rédactions avec des sujets imposés ; moi, je voulais écrire ce que j’avais envie. Je lisais aussi beaucoup et, un jour, je me suis dit « ce que je lis ne me suffit pas, j’ai aussi des choses à dire ». L’écriture n’est pas innée, mais elle colle à un besoin. J’étais adolescent en 69-70 : il y avait à cette époque un phénomène urbain à Liège qui a fait plus de remous qu’on ne le croit. Au-delà des grèves très politisées, c’était l’époque des caricaturistes, des faux pamphlets… Nous avons baigné dans une création musicale et littéraire qui allait à l’encontre de la culture de nos professeurs. Nous voulions nous aussi créer notre propre expression. Vers 16 ans, j’écrivais dans le journal trimestriel de l’école, d’abord au Collège Saint-Louis de Liège puis à l’Athénée de Chênée. C’est d’ailleurs à Chênée que se produisaient, à l’époque, tous les groupes rock dont la ville de Liège ne voulait pas, comme les Scorpions. Pour moi, la passion de l’écriture va de pair avec celle de la musique. J’ai toujours travaillé entre ces deux domaines qui s’opposent : la littérature et la musique. Et je suis enfin parvenu à les relier dans mon dernier polar.

Justement, parle-nous un peu plus de ton dernier roman Clapton a tué ma femme !

C’est le roman qui me représente le plus aujourd’hui : il est sans fioriture, sans remerciement, ni bibliographie. Il n’y a que le texte brut et c’est tout… Tu lis trois pages, tu aimes, tu continues… tu détestes, tu le jettes dans la Meuse !

Mais non ! Tu le donnes à un·e ami·e !

L’intrigue se situe à Liège et tu y évoques notamment la démolition de la maison Rigo. Le patrimoine a beaucoup d’importance dans tes romans et dans les guides que tu écris, pourquoi ?

La littérature, c’est la mémoire du patrimoine. Les meilleurs romans deviennent historiques car ils gardent en mémoire des objets contemporains de l’auteur.

Avant de terminer, quelle est la question que nous ne t’avons pas posée mais à laquelle tu aurais souhaité répondre ?

« Quel livre aurais-tu envie d’écrire avant de mourir ? » Avant de mourir, je voudrais écrire un roman qui reconstitue Villers avant la guerre 14-18. J’ai envie de reconstituer la Hesbaye rurale, de voir et de montrer comment les gens vivaient à l’époque et ressentaient les tensions entre l’Allemagne et la France. Et pas spécialement un roman historique, même une stupide histoire d’amour, avec un texte suffisamment moderne pour que ça passe…

Merci Guy d’avoir pris le temps de te prêter à notre jeu de questions réponses.

Je ne vois pas ça comme un jeu de question mais plutôt comme un échange de savoir et de compétences. Je ne crois plus en une hiérarchie, on collabore tous ensemble.

Le petit plus épinglé par la rédaction

Retrouvez Guy Delhasse un jeudi soir par mois au centre culturel de Huy où il anime des rencontres littéraires à la découverte d’auteurs qui gagnent à être connus. Les deux prochaines rencontres auront lieu le 30 janvier 2020 et 27 février 2020. Lors de cette rencontre, « Guy Delhasse vous invite » sur la scène du centre culturel en compagnie d’une douze cordes, de quelques amis chanteurs ou écrivains, et de The Pounds, un groupe de pop-folk liégeois.

Découvrez aussi Clapton a tué ma femme ! le dernier roman de Guy Delhasse publié récemment aux éditions Murmures des soirs. L’auteur lui-même vous en dit plus dans cette vidéo.

Et si vous êtes curieux·ses de lire l’un ou l’autre de ses nombreux ouvrages, Guy vous propose de découvrir :

  • « Charleroi, l’enquête littéraire » (Le Basson, 2018)

  • « Mons, l’enquête littéraire » (Le Basson, 2019)
  • « Namur, l’enquête littéraire » (Le Basson, 2020)